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House, acid house, new beat : 1989 fut l’année de l’essor de la nouvelle musique avant même l’arrivée en France d’une radio dédiée nommée Maxximum. De nouvelles discothèques apparurent notamment dans le Nord-Pas-de-Calais et en Belgique. Mais ce nouveau divertissement déclencha vite de vives polémiques. Alors, simple demande festive ou véritable délire dangereux ?

La scène électronique  est dotée d’une variété importante de mouvances musicales apparues dès 1986 comme la house et son dérivé l’acid, bien avant leur succès. À l’instar de la Techno venant de Chicago, Detroit ou New-York, on se déchaîne cette fois-ci sur des morceaux pour la plupart made in Englend ou Belgium. Mais les US ne sont pas en reste avec  DJ Pierre, pionnier de l'acid house, membre du groupe Phuture et  compositeur d'« Acid Trax » (1987). Sans doute las des déhanchements sur le funk, la pop et Michael Jackson, on veut du neuf ! Les mutations culturelles sont tout-à-fait normales car les générations émergentes ne souhaitent pas s’investir, s’amuser sur les mêmes choses que leurs aînées. De jeunes artistes réinventent des sons electro : c’est l’avènement des stridences, petits gazouillements que l’on pourrait croire venus d’estomacs affamés,  réalisées à l’aide de la machine Roland TB-303. De nouvelles discothèques, plus vastes, ouvrent en particulier dans le Nord de l’Europe. Les raves parties commencent alors à s’organiser dans des lieux désaffectées, des champs. Quelques noms viennent immédiatement à l’esprit des plus assidus : Hacienda, Boccacio, Mozinor. Les deux premiers désignent des discothèques de Manchester au Royaume Uni et près de Gand en Belgique ; le troisième appartient à un site industriel de Montreuil, aux portes de Paris, où se tenaient des raves. C’est la mode des badges aux smileys jaunes qui fleurissent sur les vêtements. La Belgique s’impose comme figure de proue d’une mouvance se voulant pacifiste et opposé à la culture hardcore ultra-violente des États-Unis, d’Angleterre ou d’Allemagne. Il s’agit en fait d’un sous-genre de la house music qui fait polémique de par la drogue, des idées plus ou moins de mauvais goût et des incompréhensions.

Des fêtes et des polémiques

Lorsque la télévision s’intéresse aux oscillations culturelles et sociétales, elle ne les cerne pas toujours. Une polémique en particulier revient mémoire : c’est Christophe Dechavanne qui remporte la palme de l’accident industriel le plus marquant du petit écran. L’animateur-producteur présente sur TF1 depuis un an « Ciel, mon mardi ! », une émission autoproclamée impertinente. Il invite en ce soir printanier de mai 1989 des laudateurs du mouvement acid,  un performeur, une clubbeuse et un promoteur de groupes, le directeur de La Pyramide, un club du nord de la France, un DJ parisien, un responsable de Skyrock Nord-Pas-de-Calais et le patron d’NRJ de l'époque. L’écrivain Frédéric Dard est l’invité de l’émission. Le thème du débat est : L'acid house surnommée « acid music » par Christophe Dechavanne. Avec ce casting semble plutôt prometteur, on peut donc s’attendre à des échanges constructifs et intéressants. Il n’en est rien ! L’édito frappe fort  et nous vous rapportons son contenu complet : « Après le ska et le disco voici la new beat et l'acid music. Le nouveau rythme des années 90 est arrivé ! Dans les discothèques on se déchaîne et dans le Nord-pas-de Calais c'est à en devenir fou : le salut hitlérien a remplacé les déhanchements et les trémoussements et l'on célèbre à tue-tête l'ecstasy : une drogue sous forme de gélules aphrodisiaques. S'agit-il d'une mode doublée de provocation ou bien d'un délire carrément dangereux ? En tous cas ce soir ça va valser ! Yeah ! ». Un reportage très pernicieux ne traitant que de la new beat est diffusé. On y voit des teuffeurs déguisés en nazis parodiant le salut hitlérien sur fond de samples « Adolf ! You’re going to pay ! » du morceau « Warbeat » du groupe Bassline Boys. « Est-ce tu comprends les paroles ? Tu ne comprends pas qu’ils lèvent le bras ! » s’exclame alors l’animateur. Le débat tourne au duel Skyrock/NRJ. Nous découvrons au passage la censure effectuée en France sur certains morceaux tels « Rock to The Beat » du groupe One-O-One (101). On s’aperçoit que le promoteur, le performeur et le directeur de La Pyramide son à l’origine de cette soirée, certes, de mauvais goût. Ils sont accusés par Christophe Dechavanne de faire l’apologie du nazisme et surtout de la drogue. Or le mot « acid » fait référence aux sons émis par le TB-303. Les propos ne tournent plus qu’autour d’un spectacle absolument pas représentatif de cette musique electro qui tranche avec le Top 50. Nous sommes dans la période pré-eurodance qui sévira plus tard avec ses samples hip-hop. L’émission allait avoir un impact considérable sur l’opinion publique. Elle ne tarda pas à faire réagir des artistes du genre, à commencer par les Bassline Boys qui sortiront le célèbre « On se calme ! » un titre dance avec les voix du débat produit par Bernard Schol alias Dr. Smiley. Le producteur demande un droit de réponse à l’émission qui lui a été refusé. Christophe Dechavanne, quant à lui,  a gagné en notoriété. Mais n’étant absolument pas reconnaissant (rires), celui-ci a poursuivi en justice Bernard Schol  en France et en Belgique suite à la sortie du disque initial intitulé « L'écho Dechavanne », un morceau new beat illustré de phrases prononcées au cours de différents numéros de l'émission. Mis bout à bout, les samples s’avéraient diffamatoires. L’enregistrement a été saisi des deux côtés de la frontière au profit de la version soft baptisée donc « On se calme ». La mouvance new beat s’éteint en 1993 laissant une empreinte indélébile sur le genre électronique.

On constate finalement que l’on n’a rien appris d’intéressant sur ce phénomène qui fit danser beaucoup de jeunes entre la fin des années 80 et le début des années 90. Si tous les amoureux d'acid ne se droguent pas, force est de constater que des substances euphoriques, nocives et illicites circulent encore aujourd’hui dans de telles soirées en boîte ou lors de free-parties (raves). Dechavanne avait-il tort d’amalgamer acid (musique) et drogue ? Pas vraiment parce que le public compare presque automatiquement acid et LSD. Il est cependant toujours tendancieux d’associer drogues et musique, quelle qu’elle soit ; il est toujours tendancieux d’associer racisme, fascisme et musique.  Non, le mouvement qui animait, et anime encore, les teuffeurs n’est pas un délire dangereux. C’est ce que l’on en dit et ce que l’on en fait qui l’est. 30 ans, Aller, ça se fête !
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